Ma plus grande claque de storytelling, je l’ai reçue en regardant ma nièce de six ans raconter sa journée d’école. Au lieu de dire « j’étais triste », elle a mimé les larmes qui coulaient, imité la voix de la maîtresse qui la consolait, reproduit le geste de son copain qui lui tendait son goûter. En trois minutes, elle m’avait fait vivre son émotion plus intensément que mes présentations d’une heure ne touchaient mes clients. J’ai compris ce jour-là que je passais mon temps à « dire » au lieu de « montrer ». Cette révélation a transformé ma façon de raconter et, par ricochet, l’efficacité de toutes mes communications d’entreprise.
« Show don’t tell » – montrer plutôt que dire – n’est pas qu’une technique narrative. C’est une philosophie de communication qui transforme vos audiences de spectateurs passifs en participants actifs de vos histoires. Au lieu d’affirmer, vous démontrez. Au lieu d’expliquer, vous faites vivre. Au lieu d’informer, vous créez l’expérience.
L’anatomie du « show don’t tell »
Comprendre cette règle fondamentale, c’est saisir la différence entre information et expérience.
Dire vs montrer : le grand écart
Quand je « dis », je transmets une information. « Notre équipe était motivée. » Cette phrase donne une information factuelle, mais ne crée aucune émotion, aucune image mentale, aucune conviction profonde. Mon audience entend l’information sans la ressentir.
Quand je « montre », je crée une expérience. « À 23h, les lumières étaient encore allumées dans nos bureaux. Sarah dormait sur son clavier, un café froid à côté d’elle. Tom était au téléphone avec un client de Tokyo, sa cravate dénouée, ses manches retroussées. Dans la salle de réunion, trois développeurs débattaient encore de l’architecture de notre nouvelle feature. » Cette description fait vivre la motivation de l’équipe au lieu de simplement l’affirmer.
La différence fondamentale ? Dans le premier cas, j’ai donné une conclusion. Dans le second, j’ai fourni les éléments qui permettent à mon audience de tirer elle-même cette conclusion. Cette auto-conviction est infiniment plus puissante que l’affirmation directe.
Les sens comme vecteurs d’expérience
Le « show » passe d’abord par l’activation des sens de votre audience. Quand je raconte notre première présentation chez un grand client, je ne dis pas « j’étais stressé ». Je décris mes mains moites sur la poignée de porte, le bruit de mes pas qui résonnent dans le hall de marbre, l’odeur de café froid dans la salle d’attente. Ces détails sensoriels réactivent dans l’esprit de mon audience des sensations familières qui créent l’empathie.
Cette activation sensorielle transforme un récit abstrait en expérience quasi-physique. Votre audience ne se contente plus d’écouter votre histoire – elle la vit de l’intérieur.
L’action plutôt que l’adjectif
Les adjectifs disent, les actions montrent. « Notre solution est innovante » ne convainc personne. « Notre solution permet à un comptable de traiter en deux heures ce qui lui prenait une journée entière » démontre concrètement cette innovation.
J’ai appris à traquer impitoyablement les adjectifs dans mes présentations pour les remplacer par des faits, des actions, des résultats tangibles. Cette chasse aux adjectifs transforme des affirmations creuses en preuves vivantes.
Les techniques du « show don’t tell » en entreprise
Adapter cette règle au contexte professionnel demande des techniques spécifiques qui respectent les codes tout en créant l’impact émotionnel.
La mise en scène de vos données
Vos chiffres ne doivent plus être des statistiques mortes, mais des révélations dramatiques. Au lieu de dire « nous avons réduit les coûts de 30% », je raconte l’histoire de cette économie : « Le directeur financier a ouvert le fichier Excel avec appréhension. Sa première réaction a été de vérifier ses calculs trois fois. Puis il m’a appelé : ‘Il y a forcément une erreur, ces chiffres sont trop beaux pour être vrais.' »
Cette mise en scène transforme une donnée brute en révélation émotionnelle. L’audience ne retient plus seulement le chiffre, mais l’émotion de la découverte.
Le dialogue révélateur
Au lieu de décrire les bénéfices de votre solution, faites parler vos clients. Pas des témoignages convenus, mais des dialogues authentiques qui révèlent l’impact réel.
« Hier, Marie de la comptabilité m’a dit : ‘Avant, je restais jusqu’à 20h pour boucler les comptes mensuels. Maintenant, je pars à 18h et j’ai même le temps de vérifier deux fois.’ Cette phrase vaut tous les arguments commerciaux du monde. »
La démonstration par l’absurde
Parfois, montrer l’absence révèle mieux la présence. Pour démontrer l’efficacité de notre process qualité, je ne liste pas ses avantages. Je raconte ce qui arrivait avant : « Le client nous appelait en panique. Une erreur dans les calculs avait fait perdre 50 000€ à son entreprise. Nous avons passé la nuit à reprendre tous les dossiers du mois. »
Cette anti-démonstration révèle la valeur de ce qui existe aujourd’hui par contraste avec ce qui existait hier.
Les erreurs qui tuent le « show don’t tell »
Ma pratique m’a appris à identifier les écueils qui transforment une tentative de « show » en échec narratif.
L’excès de détails
Vouloir tout montrer, c’est noyer l’essentiel dans l’accessoire. J’ai longtemps fait cette erreur, décrivant minutieusement chaque aspect d’une situation au lieu de sélectionner les détails qui comptent vraiment.
Le « show » efficace est sélectif. Il choisit les éléments qui portent le maximum de sens et d’émotion. Un détail bien choisi vaut mieux qu’une description exhaustive.
La surcharge métaphorique
Multiplier les images et les comparaisons peut créer la confusion plutôt que la clarté. Une métaphore puissante et cohérente vaut mieux qu’un feu d’artifice d’images qui se chassent les unes les autres.
L’artifice visible
Quand l’effort de « montrer » se sent trop, il devient contre-productif. L’audience perçoit la manipulation et se ferme. Le « show » doit paraître naturel, évident, nécessaire à la compréhension.
L’incohérence entre fond et forme
Utiliser des techniques dramatiques pour raconter des situations banales crée un décalage ridicule. Le niveau de « show » doit être proportionnel aux enjeux de l’histoire.
Adapter le « show don’t tell » à vos objectifs
Cette technique doit servir votre stratégie de communication, pas la desservir.
Pour convaincre : la preuve par l’exemple
Quand vous voulez convaincre, le « show » doit démontrer concrètement vos affirmations. Chaque bénéfice annoncé doit être illustré par une situation vécue, un résultat tangible, un témoignage authentique.
Pour inspirer : l’émotion par l’immersion
L’inspiration naît de l’identification émotionnelle. Votre « show » doit faire vivre les émotions du parcours : les doutes, les peurs, les moments de grâce, les révélations. Cette immersion émotionnelle crée l’inspiration authentique.
Pour enseigner : la compréhension par l’expérience
L’apprentissage par l’exemple est plus profond que l’apprentissage par la règle. Au lieu d’expliquer un concept, racontez une situation qui l’illustre. Votre audience comprendra le principe en le voyant à l’œuvre.
Pour fédérer : l’appartenance par le vécu partagé
Pour créer de la cohésion, montrez des moments de vie commune, des défis surmontés ensemble, des victoires partagées. Ces expériences collectives créent une identité de groupe plus forte que tous les discours sur les valeurs.
Les formats digitaux et le « show don’t tell »
Chaque plateforme offre des opportunités spécifiques pour appliquer cette règle.
Sur les réseaux sociaux : l’instantané révélateur
Une photo de votre équipe en brainstorming à 2h du matin en dit plus sur votre culture startup que tous les posts sur l’innovation. Les réseaux sociaux excellentdans ces instantanés qui révèlent plus qu’ils ne décrivent.
En vidéo : l’immersion totale
La vidéo est le medium du « show » par excellence. Au lieu de parler de votre service client, filmez une interaction réelle. Au lieu de décrire votre process, montrez-le en action. L’image et le son créent une expérience immersive naturelle.
En présentation : les slides qui parlent d’elles-mêmes
Vos slides doivent montrer avant que vous ne parliez. Une courbe qui s’effondre, une photo avant/après, un témoignage client en gros caractères. Chaque slide doit raconter une partie de votre histoire visuellement.
En podcast : le « show » audio
Sans image, le « show » passe par la richesse des descriptions sonores, des ambiances, des dialogues rapportés. J’apprends à mes clients à « filmer avec des mots » pour créer des images mentales puissantes.
Les techniques avancées du « show don’t tell »
Avec l’expérience, j’ai développé des approches plus sophistiquées de cette règle fondamentale.
Le « show » différé
Commencer par montrer une situation intrigante, puis révéler progressivement son sens. Cette technique crée du suspense et maintient l’attention sur la durée.
Le « show » comparatif
Montrer deux situations similaires avec des résultats différents révèle l’impact de votre intervention. « Même entreprise, même secteur, même problème. Mais regardez la différence de résultat… »
Le « show » symbolique
Utiliser un objet, un lieu, un geste comme symbole de votre message. Ce support tangible ancre votre récit dans la réalité tout en portant une dimension symbolique forte.
Le « show » sensoriel
Faire appel à tous les sens pour créer une expérience immersive complète. « L’odeur de brûlé dans l’atelier, le bruit assourdissant des machines en panne, la chaleur étouffante de cette journée de juillet… »
L’évolution vers le « show » naturel
Ma maîtrise du « show don’t tell » a évolué de la technique consciente vers le réflexe naturel.
Phase 1 : la découverte technique
Au début, j’appliquais mécaniquement la règle, remplaçant systématiquement chaque « tell » par un « show ». Cette phase d’apprentissage était nécessaire mais parfois artificielle.
Phase 2 : l’intégration fluide
Progressivement, le « show » est devenu ma façon naturelle de penser les histoires. Je ne cherche plus à appliquer une technique, je raconte spontanément en montrant.
Phase 3 : l’adaptation intuitive
Aujourd’hui, je dose instinctivement le « show » selon le contexte, l’audience, l’objectif. Cette adaptation intuitive maximise l’impact sans forcer le trait.
L’impact neurologique du « show don’t tell »
Cette technique fonctionne parce qu’elle active des mécanismes neurologiques profonds.
Les neurones miroirs
Quand vous montrez une action, votre audience l’imite mentalement grâce aux neurones miroirs. Cette imitation inconsciente crée une expérience quasi-physique de votre récit.
La mémoire épisodique
Le cerveau stocke les expériences vécues différemment des informations abstraites. Vos « shows » créent des souvenirs épisodiques plus durables que vos « tells » factuels.
L’engagement émotionnel
L’émotion renforce la mémorisation et l’adhésion. En créant des expériences émotionnelles, le « show » ancre profondément votre message.
Le « show don’t tell » comme philosophie d’entreprise
Au-delà de la technique narrative, cette approche peut devenir une philosophie de communication d’entreprise.
Dans le management : montrer l’exemple
Un leader qui montre ses valeurs par ses actions convainc plus que celui qui les proclame dans ses discours. Le « show don’t tell » devient un style de leadership.
Dans la culture d’entreprise : vivre les valeurs
Plutôt que d’afficher vos valeurs sur des posters, créez des situations qui les révèlent naturellement. Cette incarnation authentique est plus puissante que tous les manifestes.
Dans la communication externe : prouver par l’exemple
Votre communication ne dit plus ce que vous êtes, elle montre ce que vous faites. Cette approche crée une crédibilité infiniment plus forte.
Le « show don’t tell » transforme vos histoires d’informations en expériences. Cette transformation ne relève pas de la pure technique narrative – elle touche à l’essence même de la communication humaine. Quand vous montrez au lieu de dire, vous respectez l’intelligence de votre audience et créez avec elle une complicité authentique.
Dans un monde saturé de messages publicitaires et de promesses commerciales, le « show don’t tell » redevient ce qu’il a toujours été : la façon la plus naturelle et la plus puissante de transmettre une vérité. Vos histoires ne racontent plus, elles révèlent. Elles ne convainquent plus, elles séduisent. Elles ne parlent plus à la raison, elles touchent l’âme.