J’ai découvert le worldbuilding par accident, en me cassant les dents sur une présentation investisseur catastrophique. J’avais préparé des slides parfaits, des chiffres béton, mais quelque chose clochait. Mon interlocuteur m’a arrêté au bout de dix minutes : « Je ne comprends pas dans quel monde vous évoluez ». Cette phrase m’a hanté pendant des semaines. C’est en analysant les entreprises qui me fascinaient – Apple, Patagonia, Tesla – que j’ai réalisé qu’elles ne vendaient pas juste des produits, mais des univers entiers. Elles avaient créé leur propre monde, avec ses règles, ses valeurs, ses esthétiques. C’était ça, le worldbuilding.
Le worldbuilding, c’est l’art de créer un univers cohérent autour de votre marque. Ce n’est pas juste une question de charte graphique ou de ton de communication. C’est la construction d’un écosystème narratif complet où chaque élément – de votre logo à vos valeurs, de vos locaux à votre façon de recruter – raconte la même histoire et renforce la même vision du monde.
L’anatomie d’un univers de marque
Construire un univers de marque, c’est comme bâtir une ville. Vous avez besoin de fondations solides, d’une architecture cohérente, et de détails qui donnent vie à l’ensemble.
Les fondations : votre cosmogonie d’entreprise
Tout univers a son big bang, son mythe fondateur. Pour votre marque, c’est l’histoire de sa création, mais pas n’importe comment racontée. C’est votre cosmogonie entrepreneuriale : pourquoi ce monde existe-t-il ? Quelle nécessité l’a fait naître ?
Quand j’ai repensé notre histoire fondatrice, j’ai cessé de raconter « nous avons créé cette entreprise pour résoudre un problème technique ». J’ai creusé plus profond : nous avons créé ce monde parce que nous refusions d’accepter que la complexité soit une fatalité. Cette vision plus large a transformé notre simple service en mouvement philosophique.
Votre cosmogonie doit répondre à des questions existentielles : dans quel état était le monde avant votre arrivée ? Quelle injustice, quelle inefficacité, quelle impossibilité votre univers vient-il corriger ? Cette dimension quasi-mythologique donne une profondeur émotionnelle à votre marque qui dépasse largement le rationnel.
La géographie de votre univers
Chaque univers a sa géographie, ses territoires, ses frontières. Pour une marque, c’est l’ensemble des espaces où elle s’exprime : physiques, digitaux, conceptuels.
Nos bureaux ne sont pas juste des bureaux, ce sont les ambassades de notre univers dans le monde réel. Chaque élément de décoration, chaque aménagement, chaque détail architectural doit respirer les valeurs de notre monde. J’ai passé des heures à réfléchir à la signification de nos couleurs, à l’orientation de nos espaces, à la symbolique de nos matériaux.
Cette géographie s’étend au digital : notre site web, nos réseaux sociaux, nos applications sont autant de territoires de notre univers. Ils doivent avoir la même cohérence esthétique et narrative qu’un continent unique, avec ses variations locales mais son identité commune.
Les habitants de votre monde
Un univers sans habitants n’est qu’un décor vide. Les habitants de votre univers de marque, ce sont vos collaborateurs, vos clients, vos partenaires, mais aussi vos personnages narratifs, vos archétypes, vos figures emblématiques.
J’ai appris à penser nos équipes comme les premiers ambassadeurs de notre univers. Leur façon de s’habiller, de parler, d’interagir doit naturellement refléter les codes de notre monde. Pas de façon forcée ou artificielle, mais par adhésion authentique aux valeurs que nous portons.
Nos clients ne sont pas de simples utilisateurs, mais des citoyens de notre univers. Ils partagent nos convictions, adoptent nos codes, deviennent les évangélistes de notre vision du monde. Cette transformation identitaire est bien plus puissante que la simple satisfaction client.
Les règles physiques de votre univers
Chaque univers fictionnel a ses lois physiques, ses contraintes, ses possibilités uniques. Votre univers de marque a besoin des mêmes règles fondamentales.
Les lois esthétiques
Dans notre univers, certaines couleurs existent, d’autres non. Certaines typographies sont natives, d’autres bannies. Certaines formes sont harmonieuses, d’autres dissonantes. Ces règles esthétiques ne sont pas arbitraires : elles découlent de votre vision du monde et la renforcent.
J’ai développé ce que j’appelle notre « grammaire visuelle » : un ensemble de règles qui régissent tous nos choix esthétiques. Cette grammaire nous permet de créer de nouveaux contenus qui semblent naturellement appartenir à notre univers, même s’ils sont produits par des équipes différentes ou des prestataires externes.
Les lois comportementales
Dans votre univers, comment les gens se comportent-ils ? Quelles sont les interactions sociales valorisées ? Quels rituels rythment la vie quotidienne ? Ces questions définissent la culture de votre marque.
Chez nous, par exemple, l’interruption n’existe pas. Si quelqu’un parle, les autres écoutent jusqu’au bout avant de réagir. Cette règle simple transforme radicalement la qualité de nos échanges et devient un marqueur identitaire fort pour quiconque découvre notre univers.
Les lois temporelles
Votre univers a-t-il un rythme particulier ? Comment le temps y est-il perçu et organisé ? Cette dimension temporelle influence profondément l’expérience de votre marque.
Notre univers privilégie le temps long sur l’urgence artificielle. Nous préférons prendre le temps de bien faire plutôt que de bâcler dans la précipitation. Cette philosophie temporelle se retrouve dans tous nos processus, de la réflexion stratégique au service client.
L’histoire et l’évolution de votre monde
Un univers statique est un univers mort. Votre worldbuilding doit intégrer une dimension historique et évolutionnaire.
Les grandes époques
Votre marque a-t-elle des périodes historiques distinctes ? Des mutations majeures qui ont redéfini son univers ? Ces époques donnent de la profondeur temporelle à votre récit.
J’ai identifié trois grandes époques dans l’histoire de notre entreprise : l’ère pionnière (création et premiers défrichages), l’ère d’expansion (croissance et structuration), et l’ère de maturité (sophistication et influence). Chaque époque a ses codes, ses héros, ses défis spécifiques.
Les événements fondateurs
Certains événements marquent durablement l’univers de votre marque. Ces moments charnières deviennent des références narratives que vous pouvez réactiver selon les besoins.
Notre « grande migration » – le déménagement de nos bureaux historiques vers notre site actuel – est devenue un événement fondateur que nous célébrons chaque année. Cette migration symbolise notre passage de l’artisanat à l’industrialisation, de l’intuition à la méthode.
L’évolution continue
Votre univers ne peut pas rester figé. Il doit évoluer, s’enrichir, parfois se remettre en question. Cette évolution doit rester cohérente avec les fondamentaux tout en permettant le renouvellement.
J’organise chaque trimestre ce que j’appelle des « conseils de l’univers » : des sessions où nous questionnons l’évolution de notre worldbuilding, intégrons de nouveaux éléments, adaptons certaines règles à notre croissance.
Les langages de votre univers
Chaque univers développe ses propres langages : verbal, visuel, gestuel, symbolique.
Le vocabulaire spécifique
Votre univers a-t-il son propre vocabulaire ? Des termes techniques réinventés ? Des concepts originaux ? Ce langage spécifique renforce l’appartenance et la différenciation.
Nous avons progressivement développé un glossaire d’entreprise où les mots courants prennent des significations spécifiques. Un « prototype » chez nous n’est pas un produit inachevé, mais une expérimentation assumée. Cette redéfinition transforme notre rapport à l’échec et à l’innovation.
Les codes visuels
Au-delà de la charte graphique, votre univers a ses codes visuels : composition, perspectives, éclairages, textures. Ces codes créent une reconnaissance immédiate et une cohérence d’expérience.
J’ai défini ce que j’appelle notre « signature visuelle » : une façon particulière de cadrer nos photos, d’organiser nos espaces, de hiérarchiser nos informations. Cette signature rend nos contenus immédiatement reconnaissables, même sans logo.
Les rituels et cérémonies
Votre univers a-t-il ses rituels ? Ses célébrations ? Ses traditions ? Ces éléments cérémoniels renforcent l’appartenance et marquent les temps forts.
Nous avons instauré le « rituel du prototype » : chaque nouveau projet commence par une cérémonie où l’équipe présente son hypothèse de travail à l’ensemble de l’entreprise. Ce rituel marque symboliquement l’entrée dans notre processus créatif.
L’architecture narrative de votre univers
Votre worldbuilding doit structurer vos récits futurs et leur donner une cohérence d’ensemble.
Les types d’histoires possibles
Dans votre univers, quels types d’histoires peut-on raconter ? Quels genres narratifs sont cohérents avec votre monde ? Cette question définit votre territoire storytelling.
Notre univers se prête particulièrement aux récits d’exploration et de découverte. Nous racontons rarement des histoires de conquête ou de compétition, mais souvent des aventures de compréhension et d’innovation collaborative.
Les archétypes récurrents
Quels personnages peuplent naturellement vos histoires ? Quels rôles reviennent régulièrement ? Ces archétypes donnent une cohérence à votre casting narratif.
Dans nos récits, l’archétype du « découvreur » revient constamment : le collaborateur qui identifie un problème inattendu, le client qui révèle un usage imprévu, le partenaire qui ouvre une perspective nouvelle. Cet archétype reflète notre philosophie de l’innovation par la curiosité.
Les conflits caractéristiques
Votre univers génère-t-il des types de conflits particuliers ? Ces tensions narratives spécifiques enrichissent votre répertoire storytelling.
Nos conflits typiques opposent rarement des personnes entre elles, mais plutôt la simplicité à la complexité, l’intuition à la norme, l’innovation à la tradition. Ces conflits philosophiques donnent une profondeur particulière à nos récits d’entreprise.
L’extension et la cohérence de votre univers
Plus votre entreprise grandit, plus votre univers doit s’étendre tout en gardant sa cohérence.
Les déclinaisons géographiques
Comment votre univers s’adapte-t-il aux différents territoires géographiques ? Quelles variations locales sont acceptables sans trahir l’essence ?
Notre expansion internationale nous a obligés à repenser notre worldbuilding. Certains éléments sont universels et non-négociables, d’autres peuvent se décliner selon les cultures locales. Cette flexibilité contrôlée préserve l’authenticité tout en permettant l’adaptation.
Les extensions sectorielles
Si votre entreprise se diversifie, comment votre univers s’étend-il à de nouveaux domaines ? Cette extension doit rester organique et cohérente.
Quand nous avons étendu notre activité à de nouveaux secteurs, nous avons créé ce que j’appelle des « provinces » de notre univers : des territoires spécialisés qui gardent les fondamentaux communs tout en développant leurs spécificités.
La transmission et la formation
Comment transmettez-vous votre univers aux nouveaux arrivants ? Cette transmission est cruciale pour maintenir la cohérence dans la croissance.
J’ai développé un parcours d’immersion de trois mois pour tous les nouveaux collaborateurs. Ils ne découvrent pas seulement leurs missions, mais l’ensemble de notre univers : son histoire, ses codes, ses valeurs, ses rituels. Cette immersion transforme des recrues en véritables habitants de notre monde.
Les dangers du worldbuilding
Le worldbuilding mal maîtrisé peut devenir contre-productif et créer plus de problèmes qu’il n’en résout.
L’enfermement créatif
Un univers trop rigide peut étouffer la créativité et l’innovation. Il faut trouver l’équilibre entre cohérence et liberté créative.
J’ai appris à distinguer les règles fondamentales non-négociables des guidelines flexibles. Cette distinction permet l’innovation dans le respect de l’identité.
La déconnexion du réel
Un univers trop coupé des réalités marché peut devenir un exercice de nombrilisme stérile. Votre worldbuilding doit enrichir votre connexion au monde, pas l’appauvrir.
La complexité excessive
Un univers trop complexe devient incompréhensible pour vos audiences. La sophistication ne doit jamais nuire à la clarté du message.
Le worldbuilding n’est pas un exercice de style, mais un outil stratégique de différenciation et d’engagement. Bien maîtrisé, il transforme votre marque en univers vivant qui inspire, fédère et marque durablement les esprits. C’est l’art de créer un monde si cohérent et si attractif que vos audiences ont envie d’y vivre, d’y contribuer, et d’en devenir les ambassadeurs naturels.